Domaine en héritage – (er-e) – Patrick Thuillier – 2008.

 

1
« Ce n’était rien

– le bas d’un jardin

un moment ensoleillé.

Moins encore :

l’ombre d’un arbre.

Ce rien est mon chemin

une ombre me guide.»

Didier Jourdren

2

Lieu de mots

hantés

domaine de strophes

spectrales

Ton poème

est un château de mémoire

sur la page féodale

d’une habitation d’enfance…

3

« Trévarez » *

ou

l’épopée d’un rêve

Ce territoire qui t’habite

sait tout de toi

Des signes coulent

convergent immuables

affirment leur clarté

subtile

Un paysage s’offre

au soleil des jours

d’autrefois

et tu t’émerveilles

de la résonance

d’un « rose château »…

4

Allée brûlante

sous des grands arbres

de mémoire

Tant de musique

tant de lumière

Tes pas flamboient

une saison t’éclaire

Des mots insistent

circonstanciels

tellement dans l’empreinte…

5

Une sanguine pesanteur

du domaine

t’entraîne vers une réalité

d’imprégnation

battant

sans justification

Chacun de tes pas

s’approfondit

te révèle

l’acharnement

à poursuivre tes rêves

Tu traverseras ce lieu

dans ses attaches temporelles

la durée de son éternité

terrestre

en espérant t’oublier

fils déshérité…

6

Histoire vieille d’images

étreignant le château

de rêve

Le ciel avance

venteux

multiplie ses averses

Des mots s’imprègnent

impriment sur le jour

gris

ta précieuse quête d’heures

dérimée de la trace

Le domaine tisse

un voile de lumière

ruisselante

l’écoulement de tes pas

est dans l’approche

de ce qui s’efface

absorbé…

7

Frère de marche

que par humaine introversion

Marcher en exil

certes

mais marcher

avancer avec tes mots

avancer

marcher

du grand matin

au grand soir

espérant toujours un sang

neuf

avancer

marcher

pour vivre l’envers poétisé

d’une respiration initiale…

8

Une fenêtre s’allume

dans le soir

le domaine

n’est pas sans veille

Tranquille

nommée est la nuit

enclose

Chaque mot

est bien à sa place

pour dormir ta présence

nichée

Tout dort d’un sommeil

de mémoire…

9

C’était

une première rencontre

avec le domaine

dans la fièvre d’une ombre

en écho de pierres

infiniment aimées

et

il y eut cette transparence

de mémoire scellée

cet héritage de mots

logeables…

10

La neige

souvent la neige

se saisit de ta parole

et

tu réétayes quelques pans

d’un temps

rongé d’absences

la débâcle d’un monde

rompu de dissonances

C’est encore un hiver blanc

à la rencontre d’hier

c’est surtout un hiver limpide

dans le dénuement-même

de ton ombre

devenue insaisissable

Bien sûr

Il y a ce château écarlate

il fait si bon

réchauffer sa mémoire…

11

Sanglots

dans le domaine

Tu fais œuvre éperdue

un grand jardin antique

et

tu te retrouves

dans les haillons d’un siècle

vil

Ton infortune

est sans égale

ta prétention

légitime

Tu revendiques l’espace

de tes strophes symboliques

et

voici la neige d’un poème

uniformisant

noyant tout

engendrant ses loups

de désespoir

Jamais tu ne retrouveras

le château originel…

12

L’encre de tes mots

dans ce lieu tutélaire

navigue de mémoire

à mémoire

Du côté du « château rose »

tu t’enfièvres d’un temps

de première pierre…

13

Le château perdure

affermit une intériorité

précise une antériorité

et

tu t’enivres

de ton arborescente

lignée…

14

Ici

comme un château

ici

une consanguinité

cimentée…

*

Ici

comme un arbre

ici

dans les ramifications

d’un enracinement…

15

Corps de pierres

château organique

ombre

dans sa réalité

inexpropriable…

16

Le domaine

avec son histoire

dans l’histoire

inhérence bâtie

Le domaine

d’une mémoire

dans la mémoire

bien avant

bien après

Le domaine

dans l’abondance

du domaine

à demeure

dans tes mots…

17

Plus loin

plus loin toujours

dans la mémoire des choses

des lieux

Ainsi en est-il

de ta véritable histoire

de voix inextinguibles

du passé

de la matière territoriale

de tes mots

Ainsi en est-il

de ta belle lumière

d’ombres vivantes

de la tienne

s’agrandissant

déjà

dans ses limites visibles…

18

Tu t’introduis

dans un monde

derrière le monde

t’incorpores

dans une rotondité

de lumière postérieure

Tu te reconnais

dans une sphéricité de voix

habitées

par le verbe du paysage…

19

Giration

de tes mots

épique domaine

à contempler encore

et encore

Tu justifies

une rustique distance

d’heures royales

avec un élan d’insolence

et d’extravagance

érigées

Dans l’enceinte

d’un royaume absolu

tu remontes

une enfance princière

déchue…

20

Voix native

d’un pays

dessaisi

mots

inestimables

d’une absence

Jour après jour

page après page

ce

qui n’aurait pu s’écrire…

21

Dans l’âtre

d’un âge hanté

tu tisonnes des mots

qui ne furent que feu

d’ombre…

22

Pays

de la matière neigeuse

d’une voix

d’une gravité de mots

peut-être trop

parole en rupture

Finalement

tu ne retiens que l’espace

dimensionné

de ton enfance dans sa vérité

blessée…

23

N’entends-tu pas

ce qui chante en toi ?

Vois

le cœur du monde

dans son végétal battement

multicolore

écoute

vois

un chant de toujours

dans une efflorescence

humaine…

24

Au commencement

il y avait un feuillage

verdoyant

toi

plus verdoyant

encore

toi

plus arbre d’un paysage

natal

que l’arbre

d’un paysage natal…

25

Tu ne laisseras derrière toi

qu’un passage

pleins de tes mots terrestres

des mots d’un seul versant

arable…

26

Dernier domaine connu

« Le pré n’est plus le pré

la neige est autre chose

que la neige

L’insaisissable me touche

où je ne suis pas ».

Didier Jourdren

27

Fuir

l’inconsistance

des uns

l’exubérance

des autres

telle fut la raison

de ta présence

une veille de noël

dans un monastère

tu te réconcilias avec toi

d’abord…

28

L’esprit est ailleurs

maintenant

et

les ruines de ta pondérale

histoire

au milieu d’un arpent

de mémoire

n’ont pas la densité

d’une parole infuse

englobée dans un silence

extrêmement habitable

non plus la pesanteur

d’un domaine consacré

le corps s’est estompé

l’âme a émergé

au bout d’une route

le mystère d’une église

devint ton mystère d’homme

croyant à la propre portée

de sa résonance abbatiale…

29

C’est dans une chambre

austère

dans le silence rayonnant

d’un lieu spirituel

qu’un cœur

peut – être trop humain

trouva l’apaisement

qu’il y eut cet attrait

pour une image rédemptrice

C’est dans une chambre

pathétique

en audience avec toi-même

q’une grâce te fut accordée

celle désormais

qui te fait dire au monde

l’humilité de sa condition

engendrée

l’humilité d’un pur esprit

fait homme…

30

A présent

quotidiennement

ce plein silence

dans une sollicitation

cette dimension d’esprit

dans une intronisation

hors mesure

cette fraternelle conviction

dans l’universalité d’un chœur

cette plénitude d’âme

dans son œuvre fusionnelle

dans son impératif

de limpidité

dans la gloire d’elle-même…

 

Imprimé par Ouestélio, à Brest
Dépôt légal septembre 2008
Copyright er-e 2008
ISBN : 978-2-9532914-0-7